24 décembre 2010, Kampot, Cambodge,
Une bière pression. Le fleuve lent à ma gauche. Un jet d’eau à ma droite. Une moto au ralenti sur le pont. Epuisé par cette journée à faire du vélo dans la campagne…
Chapeaux coniques des femmes accroupies dans les rizières. Quelques buffles pataugent dans la boue. Jolies maisons colorées sur pilotis, entourées de cocotiers.
Les marais salants. Réverbération intense qui oblige les équipes à se protéger les yeux…
Noël au Cambodge.
Un oiseau chante. Quelqu’un passe un balai. Lentement. Très lentement. Un chauffeur de tuk tuk regarde par-dessus mon épaule ce que j’écris. J’attends un « Amok » au poivre vert, célèbre dans la région et un verre de vin du Chili.
Ce matin j’ai mangé une baguette bien cuite. Le café, serré, avait un goût de revenez-y.
Noël en Asie.
Loin des pétards, de la musique qui hurle.
Je ne regrette rien…
Aujourd’hui j’ai traversé tant de villages cham musulmans, blottis autour de leur mosquée.
Sourires, appels des enfants dans les étendues d’eau.
Buffles, cocotiers et palmiers à sucre.
Plaisir de parcourir les chemins de terre rouge sur cette vieille bicyclette chinoise. Longé les salines.
Beaucoup de gens font la sieste au creux de hamacs suspendus entre deux arbres.
Soif. Jus d’orange.
Noël à la campagne, au milieu des rizières.
Le vin est un peu rude à la glotte mais de bonne tenue pour mes convictions religieuses. L’amok est un mets de prince.
Il est 19heures 51 et mon repas de réveillon est terminé.
En guise de pousse-café, je me laisse tenter par une grande bouteille d’eau minérale qui sied à mon esprit rebelle.
Je laisse le fond de mon verre de vin aux mouches qui tournent dans les parages depuis que deux ou trois crevettes se sont échappées sous la table.
Après tout, qui n’aurait pas le droit de s’étourdir un soir de Noël ?
Dans ma chambre j’écoute avec attention un être étrange qui se racle la gorge tous les quarts d’heure. Tout près de moi, une présence ahane avec les volutes complexes d’un crapaud ou d’un moine tibétain en extase. J’ai beau chercher dans ma mémoire et dans les effets pervers du vin chilien, aucun nom ne me vient sur la langue. Je penche pour un toucan amoureux, un lieutenant de Pol Pot que l’on torture au fond d’une cave ou tout simplement un chat atteint de bronchite chronique.
Il fait chaud. Je m’apprête à prendre la dixième douche de la journée.
Soudain une panne d’électricité enveloppe la ville.
Venu du diable vauvert, un frelon furieux m’attaque au bas ventre…oui, il veut piquer ma virilité ! Me rend-t-il responsable de la brusque obscurité qui le désoriente ? Je saisis au hasard un vêtement pour me protéger. Je ne trouve qu’un slip à agiter en tous sens. Un moulinet magistral atteint la bête en plein vol. Voilà un exploit unique au monde : abattre une énorme guêpe avec un caleçon.
Au même moment, dans la chambre contiguë, un genou percute un meuble. Je viens d’apprendre un mot de plus en khmer. « Merde » se dit « Eh, yah ! » ou « Eh, Yoy ! ». Toutes les occasions sont bonnes pour se cultiver, même dans la nuit noire.
La lumière revient. Je vois…je vois une gigantesque blatte, un cafard monstrueux qui tournicote sur une aile.
Pour abréger ses souffrances, je l’écrase d’un coup de chaussure.
Il ne reste plus de son corps qu’un jus noirâtre teinté de filaments vert pomme.
Derrière un rideau, une autre créature apparaît…un gecko hors norme, long de cinquante centimètres. Je peux désormais poser un nom sur le cri que j’entendais tout à l’heure.
(Douce nuit, sainte nuit, en compagnie des geckos géants...)
Il est temps de dormir.
Tandis que la France soigne son foie gras avec du gésier confi.
JAC, le 26 janvier 2011
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